Un VPN « for free », proposé par Free

Un VPN « for free », proposé par Free

Free Mobile lance son propre VPN intégré : une initiative surprenante aux motivations ambiguës

De façon totalement inattendue, Free a annoncé le lancement d’une option VPN intégrée directement à son réseau mobile. Baptisée « Free mVPN », cette fonctionnalité gratuite permet aux abonnés Free Mobile de chiffrer leur connexion et de se géolocaliser à l’étranger (actuellement depuis des serveurs situés en Italie ou aux Pays-Bas). Cette annonce interroge, tant sur les plans technique qu'éthique, dans un marché déjà saturé de solutions privées.

Contexte : l’engouement marketing autour des VPN

Depuis plusieurs années, les VPN (Virtual Private Networks) sont présentés comme des outils magiques : protection des données et de la vie privée, anonymat en ligne, sécurisation des connexions… Pourtant, derrière les promesses marketing se cache une réalité plus nuancée. La majorité des utilisateurs grand public y ont en effet recours pour contourner des restrictions géographiques (accéder à un catalogue Netflix étranger, par exemple) ou pour masquer une activité illégale comme le téléchargement d'oeuvres culturelles en peer-to-peer.

Cette utilisation détournée des VPN est devenue un produit commercial à part entière, alors que ces derniers sont à la base des outils professionnels conçus pour relier de manière sécurisée plusieurs sites distants au sein d’un réseau d’entreprise, en créant un « tunnel » chiffré à travers internet.

Free mVPN : concrètement, comment ça marche ?

Techniquement, un VPN traditionnel commercial redirige et chiffre l’intégralité de votre trafic vers un serveur unique et distant, qui se charge d'établir la connexion finale à la ressource qui vous intéresse (site internet, noeud d'un réseau p2p, etc.). Ainsi, le fournisseur d’accès à internet (FAI) ne peut pas voir ce que vous faites : il ne voit qu’un flux chiffré vers la seule adresse IP du serveur VPN. La seule information dont il dispose est la quantité de données qui transite dans votre tunnel VPN.

Mais avec Free mVPN, le principe même de confidentialité vis-à-vis de son FAI devient caduc. Puisque le VPN est opéré par Free, ce dernier voit toujours tout votre trafic, comme s'il n'y avait pas de VPN. Le chiffrement qui est appliqué rend votre trafic illisible pour un acteur extérieur, mais pas pour Free. Il n’y a donc aucun gain en matière de vie privée face à votre opérateur. Le seul changement est que votre connexion semblera provenir d’Italie ou des Pays-Bas.

Free précise que le service inclut également l’utilisation de DNS4EU, un service de DNS sécurisé européen conçu pour bloquer les malwares et renforcer la sécurité.

À quoi ça sert vraiment ? Des usages très (trop) ciblés

Si l’opération ne procure aucun anonymat supplémentaire, à quoi peut-elle bien servir ? Free met en avant un accès facilité à certains services lors de voyages à l’étranger. Mais dans les faits, les applications semblent bien plus spécifiques :

  1. Contourner les blocages géographiques : accéder à des services réservés aux résidents italiens ou néerlandais (comme certains flux TV ou plateformes de streaming). Sans manquer de respect au vénérable cinéma italien, on peut douter que cet usage constitue une grande motivation pour attirer des utilisateurs...
  2. Contourner les censures judiciaires françaises : il s’agit là, sans doute, de la principale utilité. La justice française ordonne régulièrement aux FAI de bloquer l’accès à certains sites, notamment des sites pornographiques non conformes au RGPD ou à la législation sur la vérification de l’âge, ou encore des sites qui permettent de regarder des compétitions sportives en toute illégalité. Ce VPN intégré permet de contourner facilement ces blocages. Du reste, l'utilisation de DNS4EU, opérateur européen non soumis à la législation française, permet également à Free de justifier l'accessibilité de ces sites, malgré les décisions françaises qui s'imposent à ses DNS officiels.

Free a pris tout de même soin de verrouiller les usages les plus litigieux : impossible d’utiliser ce VPN pour du partage de fichiers en P2P, et il est pour l’instant limité au réseau mobile (smartphones et box 4G/5G). En effet, les réseaux mobiles sont construits de façon à ne pas permettre d'ouverture ni de redirection de port, ce qui est nécessaire au bon fonctionnement des technologies peer-to-peer.

Une décision surprenante et paradoxale

L’initiative de Free est pour le moins audacieuse. D’un côté, elle semble encourager ses utilisateurs à se soustraire à des décisions de justice françaises. De l’autre, elle le fait de manière très contrôlée, sans offrir de véritable anonymat et en bloquant les usages les plus illégaux.

Cette ambivalence reflète peut-être une position philosophique de l’opérateur historique, connu pour défendre un internet libre et non censuré. Dans un contexte législatif français de plus en plus restrictif sur le contrôle et le filtrage du web, Free mVPN pourrait être perçu comme une « valve d’échappement » offerte aux utilisateurs, un moyen de leur redonner un semblant de liberté en ligne.

De façon plus pragmatique, cet ajout d'un VPN gratuit à ses offres mobiles constitue également une belle opération publicitaire, et permet de beaux slogans sur la protection de la vie privée, même si l'outil, comme on l'a vu, est relativement limité, tout au moins à l'heure actuelle... La possibilité de se connecter à nouveau librement à des sites pornographiques récemment soumis à la vérification d'âge en France devrait également intéresser quelques utilisateurs.

Conclusion : un outil gratuit à l’utilité limitée, mais symboliquement fort

Free mVPN n’est pas la solution VPN miracle que certains attendaient peut-être. Son opérateur étant le FAI lui-même, il est inutile pour qui cherche à se protéger de façon sérieuse. Ses cas d’usage sont extrêmement limités et se concentrent essentiellement sur le contournement de blocages de certains sites internet.

Pourtant, son existence même est un signal fort. Gratuit et simple à activer, il permet à chacun de tester les possibilités (et les limites) d’un VPN. Surtout, il lance un pavé dans la mare en posant une question dérangeante : jusqu’où un FAI peut-il, ou doit-il, aller pour offrir à ses clients un accès à un internet non filtré, même lorsque cela entre en tension avec la législation nationale ? La réponse, pour l’instant, est entre les mains des utilisateurs.